Les chercheurs de l’université d’état de l’Ohio viennent de faire une découverte d’importance : Consommé sans modération par les abeilles, l’alcool a des effets néfastes, tant au niveau individuel qu’à celui de la société toute entière. Sic !

L’exercice consistait, pour Julie Mustard, Géraldine Wright et leurs collègues de Colombus, à faire boire les malheureux insectes jusqu’à ce que ceux-ci ne puissent plus ni voler, ni s’épouiller, ni même se tenir debout sur leurs petites papattes… Les études menées avec une rigueur digne d’un expert en marketing, ont montré que plus les abeilles buvaient, en quantité comme en fréquence, moins elles se révélaient capables de remuer intelligemment. Le 23 octobre 2004 à San Diego, lors de la conférence annuelle de la Society for Neuroscience, nos chercheuses ont même expliqué que les malheureux insectes finissaient par passer la plupart du temps sur le dos, dans l’incapacité totale de se bouger. Ces choses-là n’arrivent qu’en Californie…

La belle Julie Mustard a expliqué le pourquoi de ces études inattendues. L’alcool a, sur le système nerveux des abeilles, le même effet que sur celui des humains puisque les deux systèmes se développent et fonctionnent de façon analogue au niveau moléculaire. Les expériences menées sur les abeilles « éthylisées » – de fait c’est de l’éthanol à divers dosages qu’on administre aux abeilles et dont on mesure régulièrement le dosage dans l’hémolymphe – sont censées aider l’étude des effets à long terme sur les humains. On pourra ainsi étudier systématiquement, en travaillant sur un grand nombre de cobayes, sans trop de frais, sans les protestations des sociétés de défense des animaux, sans remords ni hésitations, l’influence de l’alcool sur les gènes et les protéines dans le cerveau des abeilles. On pourrait alors à terme mieux comprendre comment l’alcoolisme modifie la mémoire ou le comportement, partant quels sont les fondements moléculaires de l’alcoolisme. Puisque l’abeille est aussi un organisme social, l’étude pourrait même, prétendent les chercheurs, contribuer à un modèle explicitant les répercussions sociales de la consommation d’alcool. Sans oublier le développement de l’agressivité chez nos ivrognesses.

On hésite d’abord entre le fou-rire et l’indignation, puis on se rend compte que tout ceci est d’une grande logique. D’ailleurs, n’était-ce pas en pensant à nos industrieuses avettes qu’Oscar Wilde avait déclaré : « Le travail est la plaie des classes qui boivent » ?

Si l’expression « saoul comme une abeille » devient un jour proverbiale, les neurophysiologistes étatsuniens auront au moins contribué à restaurer la réputation des vaches, des grives … et même des Polonais.

Simonpierre Delorme

Sources :

publié dans Abeilles & fleurs N°664 de septembre 2005