Le plan secret de l’Europe pour relancer les cultures d’OGM

Traduction d’un article de The Independent on Sunday rédigé par Geoffrey Lean et publié le Dimanche 26 octobre 2008.
On peut craindre que ce document ne soit encore largement d’actualité.

Gordon Brown et d’autres leaders européens sont en train de préparer secrètement une campagne sans précédent pour répandre cultures et nourritures génétiquement modifiées en Grande-Bretagne et dans tout le continent. C’est ce que révèlent des documents confidentiels obtenus par The Independent on Sunday. Ces documents, qui sont les comptes-rendus d’une série de réunions privées des représentants de 27 gouvernements, révèlent les plans pour “accélérer” l’introduction des récoltes et nourritures modifiées et pour “régler” les résistances du public à ces OGM.

Ils montrent que les dirigeants veulent que les représentants de l’agriculture et l’industrie – ce qui inclut vraisemblablement les géants des biotechnologies tels que Monsanto – se fassent un peu plus entendre pour contrecarrer les intérêts particuliers des écologistes.

La révélation de ces plans secrets est de nature à créer une tempête de protestations à un moment où l’inquiétude au sujet des technologies de génie génétique grandit dans la plupart des populations, même dans des pays qui les avaient acceptés jusqu’ici.

L’opposition du public a empêché toute culture modifiée en Grande-Bretagne. La France, un des seuls trois pays en Europe qui en ont cultivé tant soit peu, a suspendu ces cultures. Dans les deux autres, Espagne et Portugal, la résistance grandit rapidement.

L’industrie des biotechnologies, assiégée, a mené une campagne de relations publiques fondée sur l’assertion très contestée que le génie génétique est nécessaire pour nourrir la planète. Cette campagne a eu quelques succès au sein du gouvernement britannique, où les ministres se sont de plus engagés en faveur de ces technologies, et à la Commission Européenne, avec laquelle ses lobbyistes se vantent d’avoir « d’excellentes relations de travail. »

Les réunions secrètes ont été organisées par Jose Manuel Barroso, le président pro-OGM de la Commission et elles ont été présidées par son chef de cabinet Joao Vale de Almeida. On avait demandé aux premiers ministres de chacun des 27 états de l’Union Européenne de désigner un représentant spécial.

Rien n’a été rendu public, ni le nom des participants, ni le but des réunions, ni les résultats. Mais The Independant on Sunday a pu obtenir des documents confidentiels, y compris une liste des présents et les conclusions des deux réunions tenues jusqu’ici – le 17 juillet et le 10 octobre dernier, il y a juste deux semaines – rédigées par le président de séance.

La liste montre que le président français Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel ont envoyé des collaborateurs très proches. La Grande Bretagne était représentée par Sonia Phippard, directeur de l’alimentation et de l’agriculture au ministère de l’environnement, de l’alimentation et des affaires rurales.

Les conclusions révèlent que les discussions ont surtout porté sur la manière d’accélérer l’introduction des cultures et des nourritures OGM et de persuader le public de les accepter.

Les produits modifiés doivent être approuvés par l’Union Européenne avant qu’on ne puisse les semer ou les vendre n’importe où en Europe. Mais tandis que les officiels de la Commission sont généralement très partisans de ces produits, les gouvernements sont divisés, ce qui fait que le Conseil des ministres, où ils sont représentés, est bloqué.

Dans cette situation, les bureaucrates de la Commission passent outre. Ils ont légalement le droit de le faire mais les gouvernements sur lesquels ils prennent le pas, et les groupements écologistes, sont mécontents.

Les conclusions de cette première réunion réclamaient une « accélération du processus d’autorisation fondé sur des expertises solides de nature à rassurer le public, » tandis que la seconde ajoutait qu’on « pouvait prendre des décisions plus rapidement sans compromettre la sécurité ».

Mais ces documents montrent bien également que M. Barroso va au delà de la simple exhortation et essaye d’obtenir que les premiers ministres fassent pression sur leurs propres ministres de l’environnement et de l’agriculture en faveur des OGM. Le rapport selon lequel le président des réunions « rappelait combien il est important pour les premiers ministres d’avoir une vision plus large », invitait les participants à rapporter les discussions du groupes à leurs chefs de gouvernement, et « insistait sur l’importance d’attirer leur attention sur les discussions en cours au Conseil (des Ministres) ».

Helen Holder des Amis de la Terre – Europe a dit : « L’objectif de Barroso est de faire entrer les OGM en Europe aussi vite que possible. Aussi s’adresse-t-il directement aux premiers ministres et aux présidents pour leur dire de désavouer leurs ministres et de les remettre dans le rang. »

Les conclusions des réunions sur les oppositions dans le public sont encore plus incendiaires. Les documents réfléchissent sur « comment mieux régler l’opinion publique » et ils en appellent à « un dialogue factuel et non émotionnel sur les critères élevés de la politique européenne envers les OGM. » Elles rapportent les conclusions du président de séance exaltant « le rôle de l’industrie, des partenaires économiques et de la science pour contribuer activement à un tel dialogue. » Il ajoute que « le public se sent mal informé » et déclare « que les représentants de l’agriculture devraient se faire mieux entendre. » Dans un coup de patte voilé aux groupements écologistes, il dit que « on ne devrait pas laisser le débat à certains intervenants aux intérêts légitimes mais particuliers. »

Que disent-ils ?

« Il nous faut nourrir 2 milliards et demi de gens en plus. Ce serait absolument anormal de choisir de ne pas exploiter la percée la plus importante dans les sciences biologiques. »
Professeur Allan Buckwell

« Les nouveaux développements profiteront aux paysans les plus pauvres du monde, le riz OGM résistant à la sécheresse, les cultures transgéniques contenant des gènes qui protègent contre la maladie. »
Lord Dick Taverne, Sense About Science

« Les cultures génétiquement modifiées posent un risque inacceptable aux fermiers et à l’environnement et elles n’ont pas réussi à améliorer les rendements en dépit des millions qu’elles ont coûté aux contribuables britanniques pour leur développement. »
Kirtana Chandrasekaran, Amis de la Terre

« Les cultures OGM n’augmentent pas les rendements. Les scientifiques ont trouvé que les insecticides génétiquement introduits dans ces cultures peuvent s’échapper et aller tuer les champignons utiles dans les sols. »
Peter Melchett, Soil Association

Questions & Réponses: Les inconvénients des cultures OGM
Combien d’OGM cultive-t-on en Europe ?

Très peu. Les documents se félicitent que les zones cultivées ont augmenté de 21% l’année dernière, ce qui montre un « intérêt croissant. » Mais cela ne représente toujours que 0,119 des zones cultivées d’Europe.

Quels sont les problèmes ?

Essentiellement écologiques. Des essais officiels en Grande-Bretagne ont montré que la culture d’OGM avait un effet bien plus néfaste pour la faune et la flore sauvage que celle des organismes conventionnels. Pire, des gènes échappées des plantes modifiées vont créer des mauvaises herbes ultra-résistantes et contaminer les cultures normales et organiques, ce qui empêchera le consommateur de pouvoir faire un choix sans OGM.

Sont-ils un danger pour la santé ?

Difficile à dire. Selon certaines études, cela se pourrait, mais d’autres (y compris presque toutes celles faites par l’industrie) sont plus rassurantes. L’ennui c’est que très peu d’études vraiment indépendantes, et de recherches contrôlées par des pairs, existent. Beaucoup de consommateurs ont logiquement conclu que mieux valait être certains qu’être surpris, d’autant plus qu’ils n’ont pas d’intérêt à acheter des OGM.

Peuvent-ils nourrir la planète ?

Presque certainement non. En dépit de tout le battage, les variétés actuelles d’OGM ont des rendements de fait inférieurs à ceux de leurs homologues conventionnels. Les semences sont chères à l’achat et au développement, si bien que les riches cultivateurs sur le plan mondial pourraient les utiliser et chasser les pauvres du métier, augmentant ainsi la misère. Le plus gros test agricole jamais mené – sous la conduite du Professeur Robert Watson, actuellement responsable scientifique du Ministère britannique de l’environnement, de l’alimentation et des affaires rurales – a récemment conclu qu’ils ne pourraient faire l’affaire.

Traduction Simonpierre Delorme
Texte original : www.independent.co.uk/environment/green-living/europes-secret-plan-to-boost-gm-crop-production-973834.html

Voir l’émission de France Inter d’août 2015 Du maïs transgénique en France ?