Trois camions sont arrivés dans la nuit. Plus de 1200 ruches a décharger, inspecter avant de les répartir dans les vergers. Au loin, les vergers d'amandiers sont encore dénudés. C'est un désert de fleurs et les colonies d'abeilles devront vivent encore trois semaines sur leurs réserves.

Les amandes de Californie et les apiculteurs nord-américains

La Californie fournit plus de 80 % de la production mondiale d’amandes. La pollinisation des amandiers en février est un marché juteux pour les apiculteurs nord-américains, devenus peu à peu des industriels en pollinisation.

De 2006 à 2008, beaucoup de producteurs d’amandes avaient cherché à garantir la pollinisation de leur fruitiers, passant parfois de deux colonies d’abeilles installées par acre à 2,5 voire 3 colonies par acre (un acre équivaut à un demi-hectare), une précaution contre les températures trop froides ou le mauvais temps durant la floraison. Qui plus est, la surface consacrée à la production d’amandes avait cru de 600.000 acres en 2006 à 700.000 acres en 2009. Une large publicité faite par les apiculteurs autour des difficultés des abeilles et du CCD avait permis de voir les prix moyens de location de ruche passer de 80 dollars en 2005 à 150 dollars en 2008, les colonies fortes pouvant se négocier autour de 200 dollars. Dans ces conditions, les apiculteurs ont généralement préféré négliger la production de miel, toujours aléatoire selon les années, au profit des multiplications de colonies qui leur permettaient d’obtenir un revenu fixe important en février, à la saison des amandes.

Si bien qu’en 2009, tout change : il y a trop d’offre de colonies pollinisatrices pour la demande des producteurs d’amandes ! Le prix des amandes a lui-même baissé et oblige les producteurs à des économies. Les colonies se sont multipliées, le CCD a reculé par rapport aux années précédentes. (Pourquoi ? Les apiculteurs plus riches grâce à la pollinisation des amandes ont peut-être investi plus dans la santé et le soin de leurs abeilles, remarque Joe Traynor, un courtier en pollinisation de Bakersfield en Californie, tandis qu’Eric Mussen, un spécialiste du CCD à l’Université de Californie, note simplement que le climat et les miellées de 2008 furent bien meilleurs que ceux de 2007). Pire, le développement des amanderaies recule : moins de renouvellement des vergers, mise en sous-récolte de zones qui ont souffert de la sécheresse, et des apiculteurs qui arrivent confiants sans se douter qu’ils ne sont plus en position de force pour négocier. Le réveil sera difficile.

Selon l’enquête du Dr Michael Burgett (Oregon State University) qui paraît chaque année depuis 23 ans, on peut évaluer en 2009 le coût moyen annuel d’entretien d’une ruche à 178 dollars, (min. 132, max. 225). Cependant Burgett admet que beaucoup d’apiculteurs n’ont pas vraiment calculé leurs frais ni ce coût par colonie. Ils sont donc incapables de bien fixer leur prix de location. A l’inverse, les producteurs d’amande ont tous une comptabilité analytique précise et peuvent à tout moment agir sur tel ou tel de leur coûts (comme la densité des colonies pollinisatrices par exemple). Les apiculteurs qui sont frappés de Nosema ceranae par exemple devront à l’inverse entreprendre des dépenses de traitement à la fumagilline qu’ils n’avaient pas prévues. Bref, en 2009, beaucoup d’apiculteurs ont souffert et certains, en particulier parmi ceux exclus de la pollinisation des amandiers, ne s’en sont pas remis.

Joe Traynor note que les producteurs d’amandes ont appris à ne pas acheter un chat dans un sac. Ils savent bien qu’il y a des colonies fortes et des moins fortes et ils réclament maintenant que les peuples qu’on leur propose soient au moins sur huit cadres. Les apiculteurs qui n’ont pas eu de miellées abondantes en septembre ou octobre, parce qu’ils ne se trouvaient pas dans des zones de plantes mellifères d’automne comme le« rabbit brush » (Chrysothamnus nauseosus) ou les divers « blue curl » (Trichostema, etc.), ont dû lourdement investir en nourrissements de complément, ce qui a grevé leurs coûts de revient. De même le coût de renouvellement des reines, qui peut varier selon les années du simple au quadruple, doit être pris en compte. Joe Traynor recommande de ne pas nourrir trop si vous n’êtes pas certain d’avoir un contrat de pollinisation qui vous attend pour les amandes ! Certains producteurs d’amandes payent un bonus de 10 dollars par cadre supplémentaire au dessus de huit ! Ce qui n’empêche pas que les dépenses qu’ils acceptent pour la pollinisation dépendent aussi des fluctuations sur le marché mondial de l’amande.

L’affaire se complique car la sécheresse qui frappe les amanderaies est une sécheresse « régulée » par une série de règlements fédéraux (qui priment donc sur les décisions de l’État de Californie). Ces règlements obligent à déverser des tonnes d’eau dans le delta pour prévenir – mais la chose est contestée – la disparition d’une espèce (l’éperlan) qui s’y trouverait menacée. Si cette eau était amené par aqueduc dans les vallées à amandes, on pourrait reprendre la croissance des vergers.

A terme, tout le monde pense que la production d’amandes continuera de progresser, même doucement. La crise ne l’a pas sérieusement ralentie. Les prix de l’amande, qui avaient baissé sensiblement il y a quelques années, reviendront à un niveau normal et les tarifs de pollinisation suivront. Mais pour l’instant, quid de l’année 2010 ?

Hé bien en 2010, on s’attend à une baisse de 17% de la production californienne et de 13% de la production mondiale. Quant aux apiculteurs, les miellées de 2009 ont été une catastrophe également en Amérique du Nord. Le temps pourri; irrégulier, trop sec ici, trop humide là, a laissé les colonies sans réserves au début de l’automne. L’année 2009 a été « la pire récolte de miel connue » (dixit The Daily Green). Les apiculteurs n’ont pas toujours fait à temps les traitements anti varroa, pour laisser un peu de temps de récolte aux abeilles. Parfois ils ne les ont même pas faits du tout car ils ont préféré faire un peu de miel. Le rude hiver, que nous connaissons ici aussi depuis quelque temps, est descendu jusque dans les états du Sud, là où les colonies étaient censées faire un peu de butinage et un peu de gras pour être bien prêtes et bien fortes pour février. Et comme les autres facteurs que nous connaissons bien – pesticides, varroa; régime pollinique monofloral, virus divers, etc. – sont toujours là, il faut s’attendre, nous prédit Kim Flottum, de Bee Culture Magazine, à une hécatombe à la fin de l’hiver : au moins 35% de pertes parmi les colonies. D’où un marché difficile, une hausse sensible du prix de location des colonies disponibles pour la pollinisation, et au final, des amandes tout de même plus chères, beaucoup plus chères. Surtout des abeilles qui n’avaient pas besoin de cette nouvelle épreuve.

Simonpierre DELORME   ()

 

Sources :

  • Bee Culture Magazine, 2010 Almond Pollination
  • Californian Farmer, 09/04/2009
  • The Daily Green, 28/10/2009, 21/12/2009 & 06/02/2010
Article paru dans la revue Abeilles & Fleurs N°xxx (Avril 2010) dans la rubrique Revue de presse