L’expansion plus ou moins rapide des espèces animales et végétales à travers les continents, voire au travers des océans, est une vieille histoire, parfois beaucoup plus ancienne que ne l’est notre humanité. Nos chercheurs s’efforcent de la connaître et de la comprendre. Ainsi, on s’applique aujourd’hui à reconstituer les plus anciennes migrations de notre Apis mellifera, ses reculs et ses avances face aux glaciations. La géologie, associée à la génétique ou à l’histoire des climats, permet ainsi de comprendre comment les isolats de population, ont, au fil des millénaires, vécu des évolutions différentes et donné les différentes races de l’espèce (cf « L’abeille européenne vient bien d’Europe » dans les numéros 752 et 753 de la revue Abeilles et fleurs, septembre et octobre 2013).

Sur le globe entier, certaines zones se sont retrouvées bien isolées très tôt, ce qui a permis le développement d’espèces animales et végétales très spécifiques. Ce fut le cas bien connu de l’Australie. Dans d’autres cas, l’éloignement n’a pas vraiment joué mais les conditions environnementales ont permis le développement d’animaux particuliers (les oiseaux des deux pôles par exemple) ou la survie d’animaux « archaïques » comme ces poissons des grandes profondeurs qualifiés bizarrement de « fossiles vivants » par les ichtyologues. Très tôt dans l’histoire, les migrations humaines ont – volontairement ou involontairement – engendré d’autres migrations : chiens, rats, chevaux, puces, ou bien pommes de terre, tomates, vanille, maïs, etc.

Depuis le début du siècle dernier, le nombre et l’importance des invasions biologiques n’ont cessé de grandir dans le monde, et la situation devient difficile à suivre et encore plus à contrôler. Les espèces dites invasives sont une cause sérieuse de préoccupations pour l’environnement et l’économie, les maladies et virus le sont pour la santé – voire la survie – des populations et des cultures. Très récemment, les guêpes sociales et les frelons nous ont démontré leurs capacités invasives Si on considère la façon dont d’autres frelons dans le monde sont en train de sortir de leurs territoires d’origine [ainsi Vespa orientalis, le frelon qui trimbale ses capteurs solaires sur l’abdomen (cf Abeilles et fleurs n° 755 de décembre 2013) est maintenant arrivé du Moyen-Orient aux Amériques, plus précisément au Mexique] l’arrivée en Europe de Vespa velutina nigrithorax, le frelon asiatique à pattes jaunes, en annonce d’autres. Les problèmes pour l’apiculture, la pollinisation, la biodiversité, que cette invasion va entraîner, auraient mérité une prise en compte plus rapide et plus responsable des gouvernements français.

Pour la détection à longue portée de leur butin et de leurs proies, les frelons utilisent essentiellement les signaux olfactifs émis par ceux-ci. Les différentes sources de nourriture – dans le cas qui nous intéresse les colonies d’abeilles enruchées – émettent des odeurs qui permettent aux frelons de les localiser. Mais de quelles odeurs s’agit-il exactement ? Une équipe française composée d’Antoine Couteau (Laboratoire Evolution, Génomes et Spéciation – LEGS – du CNRS de Gif-sur-Yvette), de Karine Monceau (Ecologie évolutive [CNRS] et Bio-géosciences de l’Université de Bourgogne à Dijon), d’Olivier Bonnard et de Denis Thiéry, tous deux de l’UMR Santé et Agroécologie du Vignoble (INRA et Université de Bordeaux à Villenave- d’Ornon), et de Jean-Christophe Sandoz à Gif-sur-Yvette, s’est penchée sur les conduites d’orientation des ouvrières de V. velutina par rapport à divers produits de la ruche, diverses sources de protéines et les principales substances chimiques émises par ces sources de nourriture. Les tests effectués en laboratoire ont révélé une forte attraction des frelons pour les odeurs particulières de certains produits de la ruche comme le pollen et le miel. Dans les tests effectués avec divers composés spécifiques, les frelons se sont montrés très attirés par la phéromone d’agrégation des abeilles à base de géraniol (le géraniol est un des composants émis par la glande de Nasanov des ouvrières qui « battent le rappel » devant la ruche). Il en a été de même, quoique à un moindre degré, avec les phéromones émises par les larves du couvain ou par la reine. Bref, les signaux olfactifs émis par les ruches, qu’il s’agisse de ceux des réserves de nourriture, de ceux du couvain, de ceux de la reine, en clair de tout ce qui peut signaler une densité élevée de proies, attirent les frelons. On s’en doutait un peu mais on le sait maintenant avec certitude et cela nous ouvre de nouvelle voies pour le développement d’un piégeage plus efficace et peut-être plus sélectif (?). Heureusement que notre frelon s’est répandu dans le vignoble bordelais, dans une zone riche et qui abrite une industrie fortement exportatrice ? S’il n’y avait eu là-bas que de la bruyère, des landes et des apiculteurs, nos guêpes susciteraient peut-être beaucoup moins d’attention.

Simonpierre DELORME   ()