Les sangliers ne comprennent rien au changement d’heure

Parmi les dons multiples et inestimables (forcément inestimables), que les gouvernements français ont, au cours de l’histoire, donné à leurs voisins, il convient de citer l’heure d’été. Les modifications de nos horloges et de nos rythmes de vie et de travail qui s’ensuivent deux fois par an dans toute l’Europe sont un sujet récurrent pour les média. Dans le jargon du métier, on appelle cela un marronnier.
Les études, souvent contestées, ont montré des économies bien faibles d’énergie. Les pédagogues et les parents déplorent deux fois par an les perturbations de rythme et de sommeil que ce changement brutal crée chez les enfants.

Les animaux sauvages ne devraient pas avoir ce genre de problème puisqu’ils règlent sagement leurs habitudes sur leur horloge biologique et sur l’heure solaire. Mais le changement d’horaire des humains les perturbe tout de même directement.
Julian Heiermann, un biologiste de la Ligue de Protection de la Nature (NABU) de Berlin explique que les sangliers ont une conscience bien claire du temps qui passe. Dans la journée, ils restent bien tranquilles dans leurs coins favoris, bauges (sèches) ou souilles (humides) là où les humains ne viendront normalement pas les déranger. Au crépuscule, ils s’acheminent discrètement en file vers les endroits où ils trouvent leur nourriture. A l’heure de pointe, quand les automobilistes de retour du travail foncent sur les routes, ils sont déjà en chemin et peuvent parcourir bien des distances.
Le sanglier, le porcus singularis, le « cochon solitaire » de nos ancêtres gallo-romains, est considéré comme un mammifère particulièrement intelligent. En fait ce n’est pas un cochon mais un cousin du cochon, un animal d’une autre espèce, même si l’hybridation est fréquente. Dans la classification linéenne, c’est un Sus (scrofa ou autre) et non un Porcus.

Pourtant, ce mammifère si intelligent n’a ni anticipé ni compris le déplacement brutal des heures de pointe de ses voisins humains. La Fédération des sociétés de chasse allemandes a comptabilisé 27000 sangliers tués sur la route durant la dernière saison de chasse, de mars 2008 à avril 2009, soit un record absolu par rapport aux années précédentes. Ajoutez-y près de 200 000 chevreuils et 3000 automobilistes blessés et vous avez assez pour inquiéter tout le monde. Torsten Reinwald, biologiste et porte-parole de la fédération, explique : Nous avons déjà un pic d’accidents en automne. Ce pic est encore renforcé par le changement d’heure. L’ACE (Auto Club Europa) accuse : La route devient le cimetière des animaux sauvages.

A l’origine de ce développement, il n’y a pas que la multiplication des voitures. Il y a aussi celle des sangliers. Ils sont 2, 5 millions dans leurs repaires des forêts, des champs et même des zones vertes à l’intérieur des villes allemandes. A l’inverse de la chevrette ou de la biche, la laie, si elle bien nourrie, peut exceptionnellement avoir deux portées dans l’année, ou au moins trois portées en deux ans, de plusieurs marcassins chacune (jusqu’à huit parfois). Or les “bêtes noires” trouvent partout à se nourrir : 27% de la surface totale de la République Fédérale porte aujourd’hui du maïs, du colza, du blé. Même dans les nombreux composts des petits potagers allemands, les sangliers savent trouver suffisamment de gâteries. Ne parlons pas des amis des bêtes qui vont en forêt apporter de quoi nourrir les « messieurs habillés de soie. » Les défenseurs des animaux réclament la libre circulation des animaux sauvages, ne serait ce que pour maintenir la diversité génétique des espèces, alors que le territoire se couvre de routes et d’autoroutes qui créent de plus en plus d’isolats. La création et l’entretien de passages à gibier, au dessus et au dessous des routes, deviennent une nécessité. Cela permet en outre de limiter les accidents de voitures. En période de restrictions budgétaires pourtant, la mode n’est plus aux petites ni aux grosses bêtes.

Le grand Automobile Club d’Allemagne, l’ADAC a bien précisé à ses membres qu’on ne pouvait rien prescrire au gibier et que celui-ci avait ses habitudes et son caractère. Dans les « mois noirs » qui arrivent, sur des routes de plus en plus glissantes, l’ADAC recommande à ses adhérents une prudence particulière en bordure de bois ou de champs. Le responsable des contrats d’assurance du club précise : Quand j’emboutis un cochon à 80 kmh cela équivaut au choc d’un poids de deux tonnes.
Cela explique pourquoi le Schleswig-Holstein a déjà tenté l’usage de « repellents,» de repoussoirs odorants, pour inciter les animaux à éviter certaines zones. La cohabitation raisonnable humains-animaux a ses limites. Le recours à la pétoire ne suffit plus : les chasseurs ont tiré 640 000 sangliers durant la dernière saison de chasse soit un tiers de plus que la saison précédente. Mais la population des sangliers continue d’augmenter. Alors les chasseurs ont demandé aux paysans d’organiser des trouées dans les champs de maïs pour mieux y tirer la bête, et même la permission d’aller pourchasser les sangliers dans les réserves naturelles si ceux-ci s’y aventurent. Et les agglomérations de Berlin ou de Munich, (un peu plus vastes et un peu plus vertes tout de même que notre Grand Paris) ont vu l’apparition de « chasseurs urbains » tirant le lapin, le renard ou le sanglier, devenus vraiment indésirables.

La situation est la même dans notre hexagone où la dernière saison de chasse a prélevé près d’un demi million de têtes de sangliers. Ce n’est pas assez ! a décrété le – prenez bien votre respiration – ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat – ouf ! vous pouvez respirer. Le ministère au nom tartarinesque a donc envoyé, le 16 juillet dernier, une circulaire à tous les préfets, Ladite circulaire institue un Plan National de Maîtrise du Sanglier (PNMS), elle indique 16800 collisions routières en un an avec le seul sanglier et elle prévoit l’intensification du recours à la pétoire. Le PNMS demande qu’on oublie rapidement l’éthique traditionnelle de la chasse, qu’on tire sur les marcassins (« préconiser un tir dans toutes les classes d’age ») qu’on tire sur les laies (« le tir des reproducteurs est indispensable »), il incite à « mieux libérer l’exercice de la chasse dans le temps, dans l’espace et en pratique » Il sera intéressant de suivre la statistique des accidents de chasse…

Le PNMS encourage aussi à « aménager le milieu pour le rendre moins intéressant pour le sanglier et plus aisément exploitable par la chasse (sic!). » En clair, malheur aux friches, aux broussailles et aux espaces protégés : les sangliers pourraient s’y réfugier. Il est vrai que les incendies de forêts sont plus nombreux aujourd’hui car nos forêts sont bien moins cultivées et soignées et le plan précise qu’on peut essayer de faire un peu de synergie. Mais il est surtout vrai que nous avons des collisions, avec des sangliers et des chevreuils, mais aussi avec des chauffeurs qui roulent trop vite dans les brouillards du crépuscule et que, comme le dit si bien le ministre au nom tartarinesque, il faut « apporter une réponse rapide aux préoccupations légitimes exprimées par nos concitoyens. »

Triste destin pour l’animal qui servit d’enseigne à la Xème Legio Fretensis, celle des mercenaires gaulois qui occupèrent Jérusalem après les guerres entre Romains et Juifs, puis à la Legio Secunda Augusta Britannica venue sur le continent en 383 avec le Prince Maxime (Maksen Wledig) qu’elle voulait installer sur le trône de Rome. Les Bretons furent écrasés dans la Vallée du Rhône mais, 150 ans plus tard très exactement, on retrouve des traces de survivants de cette légion près d’Orléans. Le sanglier est un animal difficile à tuer.

Les sangliers sont mal barrés, mais les chevreuils vont suivre ; idem pour les oiseaux, les mauvaises herbes, les petits mammifères aussi, dont on détruit le biotope pour mieux chasser les gros. Quant aux passages à gibier, on cherche vainement une mention dans les documents français. C’est une bizarrerie allemande sans doute, ou alors nos ministres aux noms tartarinesques ne connaissent pas.

Simonpierre DELORME   ()

 

Sources :
  • Dernières Nouvelles d’Alsace (édition bilingue – lundi 26 octobre 2009) : “Kein Schwein versteht die Zeitumstellung” (nouveau lien)
  • Ministère de l’écologie (etc.) : “Circulaire du 31 juillet 2009 relative à la mise en œuvre du Plan national de maîtrise du sanglier” (texte non paru au JO)
  • Ministère de l’écologie (etc.) : “Plan national de maîtrise du sanglier – un cadre d’actions techniques pour agir au plan départemental” (cliquer ici)
  • Naturschutzbund Deutschland : “Steckbrief Wildschwein” (nrw.nabu.de/)
  • Nabu Berlin : “Wildtiere in der Stad” Les animaux sauvages dans Berlin : sanglier, chevreuil, martre, hérisson, taupe, renard, autour … sans oublier le raton-laveur, introduit lors de l’occupation américaine (berlin.nabu.de/)
  • Auto Club Europa : “Strasse wird zum Friedhof der Wildtiere”
    (www.ace-online.de)
  • Deutscher Jagdschutzverband – Divers articles sur les accidents de voiture avec le gibier (www.jagd-online.de)
Compléments :

Publié à l’origine dans Abeilles & fleurs N° 710 de novembre 2009.