Une mémoire d’éléphant (1/3)

Éléphants et abeilles : premier texte (novembre 2007) d’une série de trois

L’espèce humaine fait partie de celles qui se développent à toute vitesse à la surface de notre globe. Si bien qu’elle en arrive à gêner et à être gênée, même par celles des autres espèces qu’elle souhaiterait protéger. C’est en particulier le cas en Afrique et spécialement au Kenya où le développement des villages et des cultures dans des zones naguère libres, et la place de plus en plus réduite laissée aux réserves, entraînent de multiples conflits entre nouveaux villageois et éléphants.

Si les éléphants, dont on ne connaît pas le nombre exact, récupèrent doucement après l’interdiction du commerce de l’ivoire en 1989, la population humaine au Kenya a triplé durant ces trente dernières années et grignote doucement les territoires des éléphants. Les éléphants, eux, piétinent les cultures et les habitants en profitent pour répondre avec des fusils.

La construction de barrières électriques n’est pas pratique et cela coûterait trop cher. A l’initiative de l’association « Save the Elephants » de Nairobi, on vient donc de tester, avec succès, une méthode « douce » pour chasser les « peaux épaisses » (pachydermes, d’après deux racines grecques). On leur envoie, par haut-parleurs, le bruit d’une colonie d’abeilles qu’on vient de déranger. L’effet est immédiat. La quasi-totalité des animaux quitte immédiatement le terrain, alors même que d’autres bruits plus neutres (celui d’une chute d’eau par exemple) les laisse indifférents. On a fait le test sur 32 groupes connus de tailles diverses (soit près de 284 animaux) vivant dans la Réserve Nationale Samburu/Buffalo Springs au nord du Kenya, Seize des dix-sept groupes à qui on a fait entendre le bourdonnement des abeilles en colère ont fui l’endroit où ils se reposaient sous les arbres dans les 80 secondes après le lancement du son, dont huit en moins de 10 secondes ! Dans l’autre moitié du test, pour les groupes qui n’entendaient qu’un bruit neutre, quatre familles seulement ont fui après 80 secondes. Seul parfois un jeune animal hésite mais les vieilles femelles qui mènent le troupeau le rappellent vite à l’ordre. Expérience personnelle ou écolage, le résultat est là : Les éléphants connaissent le bruit des abeilles en colère – les nids sont nombreux dans les acacias de la savane – et ils en ont peur. Même si leur peau est bien épaisse, on a observé que les abeilles, quand elles attaquent, se concentrent sur le pourtour des yeux et l’intérieur des oreilles et de la trompe.

La méthode pourrait être généralisée. On pourrait même envisager, au lieu de hauts-parleurs, d’installer parfois de vraies ruches sentinelles en bordure des nouvelles cultures comme on le fait déjà au Zimbabwe, ce qui aiderait à la pollinisation des cultures légumières et fournirait une ressource supplémentaire à l’espèce invasive.
On n’a pas encore testé la méthode avec les ours slovènes de nos Pyrénées. Mais là, si ce qu’on dit des ours est vrai, l’effet pourrait bien être inverse.

Lire aussi :
Les éléphants ont un signal d’alerte spécial pour les abeilles (2/3). Abeilles & fleurs N° 716 (mai 2010).

Simonpierre DELORME ()

Sources :

  • KING Lucy E., DOUGLAS-HAMILTON Iain & VOLLRATH Fritz (2007) : “African elephants run from the sound of disturbed bees” – Current Biology – vol 17, livraison 19 : www.cell.com/current-biology/

Article publié à l’origine dans Abeilles & fleurs N° 688 de novembre 2007.